vous êtes dans la partie 1, partie 2
 
L'épopée turque, de Constantinople à Madrid par Fernand Braudel

(libre adaptation du joueur turc à partir du troisième volume de La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, p147-150):


Bayézid II décide de préter assistance à la France

Sans vouloir sacrifier à une littérature facile, Montpellier nous voulons dire la brusque arrivée de l'armada turque sur la côte française, en mai 1510, fit en Europe l'effet d'un ouragan. Mais cet ouragan - par ses conséquences 1 un des très grands événements du siècle - ne surprit qu à moitié les gouvernements responsables. Comment le sultan eût-il armé, mis au point cette énorme machine de guerre, sans que le bruit n'en parvînt à l'Europe ? Dès la fin de 1509, à Vienne où l'on était toujours si bien informé des affaires turques, Maximilien disait à un ambassadeur vénitien qu'une grosse flotte allait sortir de Constantinople. Ferdinand armait mais n'y aurait-il pas danger aussi du côté de Palerme. Déjà commençait le jeu des pronostics... Y a-t-il eu surprise ?
Au début de janvier, de Naples, D. Garcia écrivait au roi qu'il serait essentiel de terminer l'affaire française avant avril, c'est-à-dire avant l'arrivée des Turcs II fallait être libre à l'Ouest pour mieux résister, à l'Est à une attaque dont, très vite, on sut qu'elle serait sérieuse. Le 20 janvier, François de Valois écrivait à Louis XII, de Constantinople, que l'armada turque irait sûrement de porter secours à la France, sans en savoir davantage. La Sicile restait pourtant à l'esprit chaque fois que l'on envisageait un assaut turc.

Tout l'hiver, puis au printemps, les bruits alarmants se succédèrent. D'après des avis du 10 février, on travaillait à furia dans l'arsenal turc ; à la mi-avril, seraient sans doute sur pied de guerre 120 galères et 10 navires de transports. S'ajoutaient des flottes de 90 galères et 5 navires de transports d'Alger et 30 galères de Tripoli et 30 autres de Cyrénaïque. La flotte turque pouvait donc compter sur 270 galères à comparer aux 60 espagnoles. La Sérénissime, alliée du sultan pouvait sans doute aligner près d'une centaine de galères mais sans doute les réservait-elle à son entreprise contre le Pape… Au regard de ces alarmes, peu importe qu'Alvaro de Bazan, avec les galères d'Espagne, ait réussi à obstruer le Rio de Tétouan, coulant des navires à son embouchure ; ou que les corsaires se soient emparés de trois navires partis de Malaga qu'ils proposaient à rachat au Cap Falcon, suivant l'habitude. Même la victoire en février des armées espagnoles devant Montpellier n'arrive pas à détourner l'attention et les armements ne suffisent pas à rassurer. Car l'actualité angoissante, c'est la certitude, chaque jour confirmée, de la puissance de l'armada qui va venir et que renforceront les navires des corsaires du Levant comme du Ponant. Tous les postes d'écoute, de Constantinople comme ceux, plus rapprochés de Raguse et Corfou où l'Espagne entretient des espions, concordent. De Raguse, un avis en date du 8 mars, annonçait que les 20 premières galères de Barberousse étaient sorties des détroits, le 20 février, il ajoutait que la rumeur publique parlait de Valence comme but de l'expédition sans qu'on puit rien affirmer de sûr.

Pour sa part, le gouvernement espagnol craignait une attaque sur Messine et, le 22 mars, des mesures avaient été prises pour lever quatre mille fantassins en Espagne, destinés partie à Naples, partie à l'infanterie des galères. Ferdinand se répandait en avertissements : " La flotte turque viendra avec plus de galères que les années passées ", écrivait-il le 7 avril aux Prieur et Consuls de Séville qu'il mettait au courant des ordres donnés à Alvaro de Bazan : gagner Carthagène pour y embarquer des troupes espagnoles à destination de Naples pour Rome, puis s'en revenir à Majorque et y continuer sa garde contre les corsaires. A Naples, le vice-roi pense, le 8 mars, que devant la grandeur du danger qui menace, il lèvera 10 000 à 12 000 hommes et se transportera en personne dans les Pouilles. Mais, quant à ce qui se raconte d'une entreprise turque contre Piombino, avec l'aide du duc de Florence, il n'y croit pas.

Avec le décalage habituel, on commence à apprendre, en Occident, les étapes du voyage turc. Le 17 mars, 60 galères sont dans le canal de Négrepont ; trente les y rejoignent le 19 ; le reste de la flotte, soit 30 voiles, se trouve à Chios. Il a donc fallu aux navires deux semaines (et davantage à certains éléments) pour gagner l'Archipel. Chemin faisant, ils ont complété leurs approvisionnements (notamment en biscuits) et pris des troupes à bord.


Barberousse

Barberousse a insisté pour que l'armada prenne tôt la mer et aurait demandé cinquante galères pour empêcher la concentration de la flotte de Ferdinand. A Corfou, le bruit court que l'armada va sur Valence, mais l'informateur prend ses précautions : " vu les préparatifs, écrit-il, on tient pour la chose la plus certaine qu'elle ira sur Messine ". En avril, elle arrivait à Navarin ; le 18 mai, elle était sur Montpellier.

Une fois de plus, la flotte turque a voyagé à toute vitesse, mettant de son côté l'avantage de la surprise et de la rapidité. Le 17, de Syracuse, Carlos de Aragona envoyait à la hâte, par courrier spécial, une courte dépêche à Ferdinand : " à une heure du matin, la garde de Casibile a fait trente feux. Pour qu'elle en ait fait autant, il faut bien, nous le craignons, que ce soit la flotte turque ". La nouvelle se confirmait bientôt : le 17, la flotte turque avait été " découverte " au large du cap Passera et le vice-roi de Naples informait le roi le 22, dans une lettre qui accompagnait les nouvelles détaillées données par D. Garcia. C'est le 6 juin que le roi reçut ces premières informations précises.


l'armée turque commandée par Ibrahim
arrive devant Madrid

Bien qu'avertis du péril, les responsables de la défense, les Espagnols, furent surpris par la rapidité de l'événement.
Arrivée le 18 mai devant Montpellier, la flotte turque utilisait aussitôt, sur le littoral, le port de Sète, l'un des meilleurs mouillages de la côte. Elle débarquait 3 000 hommes dans la nuit du 18 au 19 et, le lendemain, 20 000. Submergée, l'armée espagnole victorieuse deux mois plus tôt fut détruite sans grosse difficulté. Il ne restait plus d'armée espagnole pour défendre la péninsule, Ferdinand s'en remettait à ses puissants forts. La flotte espagnole, présente à Barcelone, ne comptant que 60 galères a préféré ne pas tenter le combat contre une flotte deux fois supérieure et sûrement mieux commandée par Barberousse. Des considérations maritimes firent que les Turcs commencèrent le siège, le 24 juin, par le moins puissant de ces forts, celui de Valence, déjà encerclé par les troupes algéroises qui se portaient alors sur Madrid, dans l'espoir de disposer ensuite du port dont il commandait une entrée, Le 31 juin, la batterie commençait. L'ouvrage ne fut enlevé que le 23 juillet, après un bombardement d'une extrême violence. Pas un des défenseurs n'échappa.
Mais cette résistance opiniâtre avait peut-être sauvée Madrid. Il avait donné le répit indispensable pour se préparer à Ferdinand qui organisa personnellement la défense de Madrid.

Cuenca prise, les Turcs portèrent leur effort sur l'ouvrage considérable, mais en partie improvisé, de Guadalajaja. La batterie, les assauts, les mines, rien ne fut épargné, la supériorité numérique et le commandement d'Ibrahim, secondé par Abdulah Ghis et le petit fils du Sultan Soliman eurent finalement raison de la défense. Une fois l'encerclement de la Capitale assuré par les turcs alors que les algérois pillaient les régions de Tolède et de Murcie, la capitale espagnole ne pouvait que tomber. La défense acharnée de la ville, bien commandée par Ferdinand recula le moment fatidique.
Madrid est tombée, le roy est capturé.

La défaite est lourde pour l'Espagne, battue sur tous les fronts, elle n'a même pas pu porter assistance au Pape qui pourtant résiste. La banqueroute ne peut être évitée. La guerre contre le France, bien engagée est finalement un désastre à cause de l'invasion turque. Ferdinand doit céder toute la Sicile qui avait pourtant farouchement résistée aux assauts répétés des musulmans.